TRANSFERT ENTRE BUDGETS DU CSE :
NOS RETOURS D’EXPÉRIENCE
La mise en place des CSE offre ponctuellement et plus durablement des possibilités en matière de transfert de ressources entre les budgets. C’est une nouveauté singulière là où le législateur insistait jusqu’à présent sur l’imperméabilité stricte entre les budgets. Dans le cadre de notre grande enquête auprès des élus sur la mise en place du CSE, 20 % des répondants ont signalé qu’une partie des fonds jusqu’alors réservés au fonctionnement des AEP ont été transférés au profit des ASC.
LES ENJEUX AUTOUR DU TRANSFERT
Le passage du CE au CSE constitue une fin de mandat singulière : ce n’est pas un changement classique de mandature au sein d’un CE, ni une dévolution telle que décrite dans le Code du travail lorsqu’il y a disparition du Comité… Le législateur a laissé aux CE le soin d’organiser les opérations de transfert en fixant un cadre légal relativement large prévu dans les ordonnances du 22 septembre 2017.
En instituant une nouvelle représentation du personnel à travers le CSE, le législateur a également prévu un volet relatif aux budgets des comités. Ce qu’en disent les textes :
- L’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017 précise que lors de sa dernière réunion « le comité d’entreprise décide de l’affectation des biens de toute nature dont il dispose et, en priorité, à destination du futur comité social et économique ou conseil d’entreprise et le cas échéant, les conditions de transfert des droits et obligations, créances et dettes relatives aux activités transférées. Lors de sa première réunion, le comité social et économique ou le conseil d’entreprise décide, à la majorité de ses membres, soit d’accepter les affectations prévues par le comité d’entreprise lors de sa dernière réunion, soit de décider d’affectations différentes ».
C’est cette possibilité ponctuelle d’affecter différemment les éléments de patrimoine transmis qui constitue une singularité.
Le Code du travail offre aussi la possibilité de transférer annuellement une quote-part des excédents des budgets :
- R2315-31-1 : « L’excédent annuel du budget de fonctionnement peut être transféré au budget destiné aux activités sociales et culturelles conformément à l’article L. 2315-61, dans la limite de 10 % de cet excédent. »
- R2312-51: « En cas de reliquat budgétaire, l’excédent annuel du budget destiné aux activités sociales et culturelles peut être transféré au budget de fonctionnement ou à des associations conformément à l’article L. 2312-84, dans la limite de 10 % de cet excédent… »
Dans ce contexte légal, des enjeux multiples ont émergé ; relevons parmi les principaux :
- une rédaction de l’Ordonnance n° 2017-1718 qui laisse matière à interprétation
- une anticipation des équilibres financiers des budgets plus prégnante
- les moyens de pouvoir assumer les missions et actions du CSE garantissant la pérennité des budgets et leur autonomie financière
- une opportunité à un instant T – le passage en CSE — qu’il faut saisir tout en mesurant les risques
Ces enjeux peuvent notamment s’appréhender selon différents axes d’analyse, il en va ainsi de la notion « d’affectation » :
- la décision du CE d’affecter selon telle ou telle clef de répartition (effectifs, masse salariale…) dans le cadre d’une structure avec un niveau central et des établissements, afin de déterminer la part de patrimoine du CE qui revient aux différents CSEE et CSEC.
- la décision du CSE de changer la destination des biens (ASC/AEP) repris : le CSE décide que les réserves sur un budget (le budget des AEP par exemple) sont transférées pour tout ou partie sur le budget des activités sociales…
Quels que soient les choix de gestion retenus, ils doivent pouvoir s’intégrer dans un dispositif sécurisé pour les élus en mandature. Rappelons d’ailleurs que c’est un choix « offert » aux élus et non une obligation.
NOS PRÉCONISATIONS POUR UNE PRISE DE DÉCISION « ÉCLAIRÉE »
Le principe de dualité qui demeure exige une gestion séparée des budgets, chacun devant s’équilibrer et financer les missions de son ressort. Généralement le transfert s’envisage sous l’angle du budget des AEP reversant une quote-part de ses fonds de réserve vers les ASC. L’inverse étant possible, mais peu utilisé.
1. Avoir les réserves suffisantes : ce présupposé implique la présence de réserves suffisantes réparties entre chacun des budgets avant et après la décision éventuelle de changement d’affectation au moment du transfert du patrimoine. En effet, tout transfert de réserves s’accompagne d’un flux de trésorerie du même ordre vers le budget bénéficiaire.
2. Connaître les besoins budgétaires et rester prévoyant : la présence de nouveaux élus en gestion induit un temps de prise de connaissance des besoins budgétaires qui nécessite une certaine mesure dans le montant transféré afin de laisser des marges de manœuvre et initiatives en matière d’expertises, de formation ou de conseil juridique.
LE COFINANCEMENT DES EXPERTISES REQUIERT DE LA PRUDENCE BUDGÉTAIRE
En effet, l’extension du nombre de missions cofinancées d’une part, l’élargissement des prérogatives de la nouvelle instance CSE d’autre part, sont autant d’éléments de pondération et d’anticipation prudente des besoins financiers.
En ce qui concerne le cofinancement, l’employeur pourra prendre à sa charge 100 % du coût de l’expertise lorsque le budget des AEP est insuffisant et à condition que le CSE n’ait pas transféré une quote-part du résultat AEP les 3 années précédentes. Cette prise en charge s’accompagnant dans ce cas, d’une absence de reversement d’excédent pour les 3 années suivantes.
Enfin, il faut garder à l’esprit que l’opportunité de transfert de réserves se fait en une seule fois à l’occasion de la « mutation » du CE en un CSE et qu’un retour en arrière n’est pas envisageable !
Un choix mal avisé peut dans ce cas être lourd de conséquences sur les orientations budgétaires de la nouvelle équipe.
RETOURS D’EXPÉRIENCE
Cela fait maintenant deux ans que les CE ont amorcé leur « mue » en CSE et en ce début d’année 2020, il nous a semblé intéressant de mettre en perspective nos observations sous la forme d’un retour d’expérience sur les opérations de transferts étudiées.
UNE MAJORITÉ DE CSE A CHOISI LE MAINTIEN DES FONDS DE RÉSERVE
Tout d’abord, soulignons qu’une large majorité de nos interlocuteurs ont opté pour le maintien des fonds de réserve constatés à l’issue de la vie du CE. La nouvelle instance CSE acceptant dans la continuité la proposition d’affectation en l’état proposée par les élus de l’ancien comité. C’est d’autant plus vrai pour les CSE qui n’ont pas vu le périmètre juridique et d’activité antérieur évoluer (celui du CE).
DES TRANSFERTS QUASI EXCLUSIFS DU 0,2 % VERS LES ASC
Pour ceux ayant fait le choix de transférer une quote-part de réserves d’un budget à un autre, force est de constater qu’il s’agit quasi exclusivement des AEP (budget généralement bien doté) au bénéfice des ASC. Ce transfert, dans l’ensemble, étant modéré dans son montant laissant des perspectives et des marges de financement.
Nous avons parfois pu constater l’implication de l’employeur dans les débats précédents la décision de transfert allant jusqu’à proposer une somme à transférer… Bien que le législateur réserve cette faculté aux seuls membres élus du CSE.
Certains CSE, et sans filet réglementaire, se sont laissé une année de gestion avant de décider de transférer une éventuelle quote-part de réserves et de faire de la réunion d’approbation des comptes du premier exercice du Comité, l’occasion d’un éventuel transfert de réserves.
Autre situation cette fois-ci plus délicate : certains CE ont fait le choix de consommer 100 % voire au-delà des réserves disponibles du budget des ASC en anticipant, de fait, une décision future du CSE pour combler l’insuffisance des réserves constatées. Cette configuration pourrait alors engager la nouvelle équipe dans ses choix de gestion…
UNE GESTION PLUTÔT RAISONNÉE
L’essentiel des opérations de transfert s’est réalisé dans l’intérêt des CSE et des salariés bénéficiaires des activités. En effet les élus ont eu à cœur de maintenir la continuité des ASC notamment pendant cette période d’élections et de transition.
Quels que soient les modes opératoires retenus, avec ou sans la mise en place d’une « commission en charge des opérations de transfert », le champ d’interprétation des Ordonnances a permis aux différentes instances d’adapter au mieux ce dispositif législatif à leur contexte.
Le principe de dualité budgétaire étant maintenu, le transfert d’un excédent plafonné à 10 % (AEP ou ASC) ne remettra pas en cause le maintien des équilibres de gestion globaux.
En outre, le transfert d’une partie des fonds du budget des AEP vers les ASC ne doit pas priver le CSE des moyens d’exercer dans de bonnes conditions ses attributions économiques et professionnelles. Il doit pouvoir conserver sur ce budget des marges de manœuvre pour fonctionner et en particulier lui permettre de faire face à des situations complexes nécessitant l’intervention d’avocats, d’experts-comptables et d’experts libres cofinancées ou non…
Avec le CSE, s’ouvre une nouvelle ère du dialogue social ainsi qu’un champ de prérogatives étendues. Se former et organiser la vie quotidienne de l’instance constitue une démarche essentielle pour les comités. Dans ce contexte exigeant et comme lors des opérations de transfert, nos experts sont aux côtés des instances pour répondre au plus près de leurs enjeux qui vont assurément se présenter.