Mathilde RAMADIER
Bienvenue dans le nouveau monde
Comment j’ai survécu à la coolitude des start-ups
Editions Premier Parellèle
En qualité d’experts pour les CHSCT, nous bénéficions d’un accès privilégié à la réalité des conditions de travail dans les organisations contemporaines. Actuellement, nombre d’entreprises s’inspirent, en partie au moins, du modèle d’organisation des start-up qui bénéficient d’une image innovante et du lustre de la modernité. Ces entreprises détiendraient quelques clefs pour dépasser les rigidités des structures traditionnelles et pour motiver les jeunes générations en quête d’épanouissement personnel au travail et rétives au poids de la hiérarchie pyramidale.
Elles seraient la pointe avancée de la capacité des entreprises à promouvoir autonomie et réalisation personnelle. Toutefois cette image résiste mal à l’examen des conditions réelles de l’activité et de plus en plus de voix s’élèvent pour témoigner de l’envers du décor et des nouvelles formes de précarisation et de dépendance qui prolifèrent à l’ombre des jeunes entreprises en fleur…
Mathilde Ramadier avec son livre « Bienvenue dans le nouveau monde » est une de ces voix. Le sous-titre du livre « comment j’ai survécu à la coolitude des star-tups » donne le ton et contient en germe l’analyse d’un univers où des conditions de travail difficiles se parent des habits neufs ou du moins branchés de la convivialité 2.0. L’ouvrage rend compte avec humour des expériences professionnelles de l’auteur au sein de start-up à Berlin, capitale de la « bohème digitale » parfois surnommée « Silicon Allee ». Il s’attache notamment à analyser l’usage d’une novlangue qui masque péniblement la dureté des rapports sociaux.
« Le tutoiement et les chapelets de superlatifs y sont de rigueur. »
Le parcours de Mathilde Ramadier est présenté comme emblématique de celui d’un grand nombre de jeunes startupers. Le parcours commence avec la prise de connaissance d’une offre d’emploi dont on est le super-héros. Le tutoiement et les chapelets de superlatifs y sont de rigueur. Mais ce qui semble se présenter comme l’opportunité d’une vie se révèle souvent n’être qu’une offre de stage. Il faudra souvent s’en contenter car les emplois stables ne sont pas au coeur du modèle qui affectionne davantage les statuts de stagiaires et d’indépendants. Parmi les prérequis demandés au candidat, les start-up n’hésitent pas à mentionner une soif immodérée du challenge. Quelques formules prélevées dans les annonces sont ainsi citées : « tu es jeune et tu as faim » « rejoins-nous dans une ambiance pingpong ». Parfois le rédacteur d’annonces va jusqu’à se laisser aller à des injonctions messianiques.
« Le candidat « heureux winner » peut être invité à venir avec son propre matériel. »
Le salaire d’embauche peut être décevant et ne pas permettre la moindre survie en autonomie mais le jeune candidat sera installé dans un open space avec un mobilier au design épuré et aura le loisir de contempler un chef-d’oeuvre contemporain. Il se fera livrer des pizzas longtemps après la tombée de la nuit. Il aura droit également à un gâteau le jour de son anniversaire et à des virées conviviales après le travail. L’impétrant dispose en règle générale d’un titre galvanisant qui laisse supposer des responsabilités de haut vol, un champ d’action sans borne et un avenir pavé de mille et une perspectives.
« Il s’agit d’être innovant et engagé corps et âme pour le grand décollage »
Dans une start-up, les jeunes recrues sont en permanence invitées à se projeter dans le futur car tout reste à construire et notamment la rentabilité de l’entreprise. Il s’agit d’être innovant et engagé corps et âme pour le grand décollage, d’être en somme le précurseur ou du moins le promoteur de l’idée révolutionnaire digne de « disrupter » le marché. L’idée innovante n’a pas encore son marché et le but n’est pas que le business continue de tourner mais qu’il se multiplie par 10. La course folle est donc le rythme de routine imposé à tous les opérationnels, laissant planer l’idée que le bon concept assurera le succès pour peu qu’être tenu à l’impossible ne fasse pas peur au collaborateur. Ce dernier doit aussi avoir à coeur d’alimenter avec frénésie les réseaux sociaux, de faire circuler les contenus, de les «liker» abondamment et de s’assurer qu’ils fassent le buzz sur le web.
« Travailler beaucoup et tard est le minimum attendu. »
Mais quel métier fait-on au juste dans une start-up ? Pour exemple, Mathilde Ramadier commence sa carrière de startupeuse en qualité de « content manager France ». Elle rédige les descriptions des différents produits vendus sur le site de son entreprise, les traduit si elles ont déjà été écrites. Elle s’occupe du texte des newsletters. Il s’agit pour l’essentiel de variations autour du thème « cliquez, achetez, aimez-nous ». Le vocabulaire est contraint par le SEO (Search Engine Optimization). Il faut veiller à ne pas dégrader son référencement sur Google. En somme, il s’agit d’écrire non pour des lecteurs et des clients mais pour des robots qui parcourent le net. Notre superhéroïne, promue « content manager » a tôt fait de s’ennuyer. Les collègues « assistant talent recruiter » (stagiaire RH), « l’office manager » (secrétaire d’accueil), le « growth hacker » (geek bon à tout faire en alternance) ne sont pas forcément mieux lotis. A tous est demandée une grande flexibilité. Il faut savoir rester souple, très souple avec les horaires. La vie personnelle est la grande sacrifiée de l’engagement dans une start-up. Les heures sup’ sont affaire courante et ne sont pas, tant s’en faut, toujours rémunérées. Travailler beaucoup et tard est le minimum attendu.
La crainte de la nouvelle génération est moins celle de perdre son emploi car ça arrivera vite au vu du turn-over de ce type d’entreprise mais celle de perdre son attractivité. Tout est bon à prendre pour construire son expérience et son employabilité.
« Les outils de contrôle de l’activité et de la performance sont légion. »
Le salarié est par exemple amené à définir quotidiennement ses objectifs et à préciser de quelle manière il compte les atteindre. Elle est loin l’entreprise de grand-papa avec ses objectifs annuels ! Les objectifs doivent être publiés auprès des collègues qui sont invités à les « liker » ou pas. Chacun des employés peut tout voir. Une précision utile : le top 4 de l’entreprise dans l’exemple donnée par Mathilde Ramadier est dispensé de l’exercice. La compétition qui sévit sur le marché est également interne et orchestrée par les méthodes managériales.
Au terme de cette plongée dans la vie quotidienne des start-up, on ressort avec une meilleure compréhension du vécu du prolétariat nouvelle génération exposé au contrôle permanent et au culte de la flexibilité dans un univers qui se voudrait bon enfant mais qui se révèle aussi dur que les lois du marché qui le régissent.