Le cabinet CLAC pour évacuer l’épineuse question des élus CHSCT et des élus CE, a conseillé à la direction de l’entreprise d’associer à chaque groupe de travail, un élu CHSCT. Ainsi les élus se trouveront rassurés puisque pour une fois, la direction les place au cœur du dispositif.
Pour finir la campagne de séduction des élus, le cabinet CLAC a nommé les groupes de travail : « Plan d’Action Performance et Qualité ». Qui pourrait être rétif à travailler sur un processus d’amélioration du travail ? À peu près personne.
À la réception de l’ordre du jour du groupe de travail, Fabrice, l’élu CHSCT est séduit. En effet, à la lecture des mots « recueil et résolution des problèmes rencontrés par les soudeurs », Fabrice pense que les choses vont dans le bon sens.
Dix jours plus tard, Fabrice fait grise mine lorsque son collègue Louis lui demande comment s’est déroulée la première réunion du groupe de travail. Si les soudeurs se sont présentés souriants à la réunion, la présentation de diagrammes et de courbes compréhensibles des seuls consultants du cabinet CLAC a commencé à refroidir leur motivation.
Le malaise est devenu perceptible lorsqu’il a été requis de chaque soudeur de décrire étape par étape leurs procédures de travail avec des post-it. À chaque évocation des difficultés et des failles organisationnelles rencontrées, le consultant du cabinet CLAC et le stagiaire du service réorientaient les échanges sur les « gâchis » générés par leurs gestes « inutiles ».
Face aux injonctions du consultant CLAC, « l’opérateur attend le poste amont jusqu’à 30 secondes par pièce », « l’opérateur se déplace trop », « les gabarits sont trop nombreux », « le poste est mal rangé », les soudeurs sont devenus définitivement silencieux. Fabrice est intervenu pour signaler que les préconisations faites lui semblaient porteuses de plus de pénibilité et de troubles musculosquelettiques. Il lui a été répondu que ce n’est pas l’esprit du groupe de travail, « on doit recueillir les problèmes du poste, pas les revendications des personnes qui l’occupent ».
Fabrice ne sait plus quelle posture adopter. Il comprend que le travail est le grand absent de ces ateliers de Lean Management. Les soudeurs doivent désormais se plier à une standardisation de leurs procédures de travail pour répondre aux injonctions de productivité de l’entreprise. Qu’importe ce que les travailleurs font vraiment, les ressources qu’ils mobilisent, les difficultés qu’ils rencontrent, bref le travail réel qui s’oppose au travail prescrit porté par le management. À la promesse de 30 % de productivité en plus, la direction échoue visiblement dans la prise en compte du réel et focalise ses actions Lean sur la seule réduction des coûts, au prix de la dégradation des conditions de travail.
À la prise de conscience de ce qu’est vraiment le Lean Management, succède l’amertume d’avoir été manipulé. En tant qu’élu CHSCT, Fabrice est à présent entre le marteau et l’enclume. La direction en l’impliquant dans les groupes de travail l’a enfermé dans le processus.
À l’écoute de son récit, son collègue Louis soupire et lui suggère de nommer un expert CHSCT lors de la prochaine réunion. Fabrice et Louis se félicitent. Ils ont été bien inspirés de ne pas rendre leur avis et de le repousser après la tenue des premiers groupes de travail.