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Le travail à l'épreuve de la distance

LE TRAVAIL A L’ÉPREUVE DE LA DISTANCE : L’ambivalence primordiale du télétravail

LE TRAVAIL A L’ÉPREUVE DE LA DISTANCE

L’ambivalence primordiale du télétravail

Depuis début avril‭, ‬études et sondages se multiplient sur le sujet du ressenti des salariés sur le télétravail‭. ‬Parfois‭, ‬ils pointent le fait qu’une majorité de personnes regrettent leur bureau‭, ‬d’autres fois ils mettent en lumière une majorité de personnes souhaitant continuer à télétravailler après la crise‭. ‬Cette contradiction apparente souligne‭, ‬si besoin était‭, ‬qu’il y a autant de vision du travail que de salariés‭.‬

En revanche‭, ‬un consensus se dégage sur les points positifs et négatifs du télétravail‭. ‬

D’un côté‭, ‬il permet d’éviter de passer de longues heures dans les transports‭ ‬et les embouteillages‭, ‬d’organiser sa journée de travail en prenant en compte ses impératifs personnels‭. ‬

De l’autre‭, ‬il isole‭, ‬il oblige à donner un tour formel aux échanges‭, ‬il ne permet pas de s’extraire de son univers privé et redistribue aux femmes plus de tâches‮…‬

« Le télétravail n’est pas la panacée‭, ‬il n’est qu’un mode d’organisation parmi d’autres »

Ces différents constats confirment que le télétravail n’est qu’un mode d’organisation du travail qui doit se conjuguer et coexister avec d’autres formes d’organisations‭. ‬Le tout télétravail‭, ‬surtout imposé et effectué au seul domicile du salarié‭, ‬est voué à l’échec‭. ‬L’absence de télétravail apparaît pour les métiers où il est techniquement possible comme dommageable à la qualité de vie des salariés‭. ‬En ce sens‭, ‬les termes de la loi actuelle paraissent équilibrés‭. ‬Les textes parlent de volontariat et de réversibilité‭. ‬Les accords d’entreprise futurs vont probablement pousser le curseur vers plus de télétravail‭. ‬Dans ce contexte‭, ‬la notion de volontariat doit‭ ‬être préservée‭. ‬Le temps de travail doit être spécifié et être en accord avec la charge de travail‭. ‬

«La crise du Covid-19‭ ‬a permis à de nombreuses populations de salariés de bénéficier du télétravail alors qu’ils en étaient exclus jusqu’à présent »

La crise du Covid-19‭ ‬a été un accélérateur d’expérimentation sur le télétravail‭. ‬Si son histoire était longue‭, ‬il n’avait jamais été pratiqué aussi largement‭. ‬Il a embarqué des populations nouvelles‭ (‬professions intermédiaires ou employées‭) ‬et‭ ‬la démonstration a été faite que ces nouveaux publics pouvaient bel et bien télétravailler s’ils avaient la formation et les équipements nécessaires‭. ‬Dans un contexte où le télétravail semble s’être ouvert un avenir radieux‭, ‬il apparaît essentiel de se demander si l’expérience du télétravail fera dans la durée la démonstration des nombreuses qualités qu’on lui attribue‭.‬

Quel télétravail voulons-nous ‭?‬

Le télétravail repose a priori sur une relation de confiance de l’employeur envers un salarié sur lequel il ne peut plus exercer les contraintes et contrôles qu’offre un espace partagé‭. ‬Certains télétravailleurs se réjouissent d’ailleurs dans leurs témoignages de travailler à la maison loin du regard du petit chef et des multiples regards de l’open-space‭. ‬

Pour autant‭, ‬la liberté et l’autonomie retrouvées sont toutes relatives dans un contexte où l’informatique permet une traçabilité des connexions et où la seule atteinte d’objectifs individualisés devient l’indicateur de référence de la relation de travail‭. ‬

‭ ‬« Le télétravail accentue la dimension abstraite du travail introduite par un management obsédé par les chiffres‭, ‬la formalisation‭, ‬le contrôle et qu’il multiplie les procédures‭, ‬les protocoles‭, ‬les reportings‭.‬‭*‬ »‭‬ Danièle Linhart

Le travail à distance pourrait devenir à terme une caricature de ce qu’il est souvent en présentiel‭. ‬Qu’aura-t-on finalement gagné à être en survêtement et pantoufles‭, ‬avec un chat sur les genoux‭, ‬si le travail à distance renforce la standardisation des tâches‭, ‬le contrôle numérique en temps réel et l’individualisation de la mesure de la performance ‭? ‬

Les journaux rapportent que la vente des logiciels espions aurait connu un essor durant le confinement aux États-Unis‭ ‬‭(‬capture d’écran toutes les dix minutes‭, ‬sites web et tout ce qui est tapé sur le clavier enregistré‭, ‬calcul du nombre de mails envoyés‭). ‬En France‭, ‬de telles pratiques sont strictement encadrées par la CNIL et doivent être marginales‭, ‬mais il n’est jamais inintéressant de voir ce qui se passe ailleurs‭. ‬

Verra-t-on un jour notre chat comme l’ennemi‭, ‬celui qui nous a fait trop vite oublier que nous n’étions qu’un être avec un casque sur les oreilles‭, ‬sur sollicité‭, ‬angoissé par les objectifs à tenir et déprimé par le manque de chair de‭ ‬notre contribution sociale ‭? ‬

LE TÉLÉTRAVAIL INTERROGE LA QUESTION DU LIEN SOCIAL ET DE L’ATTACHEMENT‭ ‬À‭ ‬L’ENTREPRISE

Le principal dommage du travail à distance sur le long terme est probablement la dissolution des liens‭, ‬liens techniques et coopératifs‭, ‬mais aussi sentiment d’appartenance voire de fierté de faire partie d’une entreprise commune‭. ‬

Le télétravail pose et posera de façon plus aiguë la question du sens du travail‭. ‬Beaucoup se seraient interrogés sur l’utilité de leur travail lors du confinement dans un contexte social où étaient héroïsés les travailleurs en première ligne‭, ‬notamment les soignants‭, ‬dont l’utilité sociale s’imposait‭. ‬L’héroïsation des travailleurs en première ligne peut avoir pour effet de faire passer pour des imposteurs ceux qui bénéficient du‭ ‬télétravail‭, ‬mieux payés en général‭, ‬et dont le fruit du travail n’est pas directement visible‭. ‬Si travailler‭, ‬c’est être là‭, ‬que font ceux qui peuvent se cacher dans un recoin de leur domicile‭ ? 

La diffusion du télétravail passe par une refondation du travail en général pour que soit donné à chacun le sentiment que son activité fait sens et contribue utilement à faire société‭. ‬

« Les salariés doivent pouvoir peser sur la définition de leur travail avant que de l’emporter chez eux‭, ‬au risque d’être bien seul à la maison avec leur lien de subordination‭.‬ »

En somme‭, ‬pour bénéficier des attraits du télétravail‭, ‬il faut déjà interroger la qualité du travail offerte en présentiel et le‭ ‬modèle de management de l’entreprise‭. ‬Faire partie d’un nous et faire‭ ‬œuvre commune nécessite une délibération sur le travail que l’on expérimente d’abord dans la spontanéité avec des formes de communication affective‭. ‬Les TIC‭ (‬Technologies de l’Information‭ ‬et de la Communication‭) ‬sont peut-être à même de créer dans la durée des systèmes de sens et de valeurs partagés si et seulement si ce système de sens fonctionnait déjà en présentiel‭. ‬

Le télétravail pose également la question du rapport du salarié à son entreprise et interroge le statut du salarié et son évolution‮ ‬‭: ‬le risque n’est-il pas‭, ‬avec la banalisation du télétravail et un recours intensif à ce mode d’organisation‭, ‬de pousser les entreprises à penser travail à façon plutôt que CDI ‭? ‬Par ailleurs‭, ‬l’éloignement du salarié ne se conjuguera-t-il pas avec un appauvrissement professionnel et une réduction de ses possibilités d’évolution ‭?‬

Le travail doit être débattu et le télétravail soigneusement défini‭, ‬encadré‭, ‬négocié pour que le plaisir de travailler en short‭ ‬et en tongs ne s’avère pas un miroir aux alouettes‭.‬

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