LA RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE DES ENTREPRISES : « GREENWASHING » OU VÉRITABLE LEVIER DE PROGRÈS SOCIAL ?
La Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) concerne les représentants du personnel à plus d’un titre. L’élargissement du champ d’action de l’entreprise au-delà de son périmètre strictement économique ne peut d’ailleurs que les interpeller dans un contexte de mutation culturelle autour des enjeux environnementaux et d’équité sociale. Et dans le même temps, ils doivent rester vigilants à l’égard des effets de mode et d’exercices de communication pure, voire de leurres marketing, dits « greenwashing », qui dénaturent trop souvent, la mise en place d’une démarche RSE.
RSE : DE QUOI PARLE-T-ON CONCRÈTEMENT ?
Plusieurs définitions circulent à propos de l’acronyme RSE : d’une part, Responsabilité sociale des entreprises qui dérive du terme anglais Corporate Social Responsability (CSR) ; et d’autre part, d’aucuns parlent de responsabilité sociale et environnementale ; enfin, l’expression retenue par l’Organisation internationale de normalisation dans la définition de la norme ISO 26000 : la Responsabilité sociétale des entreprises. L’adjectif sociétal réfère en français à une responsabilité plus large que celle portant uniquement sur le social. Elle renvoie à la société dans son ensemble, y compris dans son rapport à l’environnement. Chacun sait bien aujourd’hui que du fait de leur puissance économique et de leur influence, les actions des grandes entreprises et des multinationales ont des conséquences majeures non seulement sur l’emploi, la répartition des richesses et les politiques publiques, mais également sur l’environnement de vastes régions, voire même sur l’évolution du climat terrestre1.
DÉVELOPPEMENT SOCIAL ET DÉVELOPPEMENT DURABLE : LES DEUX FACES D’UNE MÊME PIÈCE
L’essor de la RSE dans les entreprises a notamment pris appui sur la diffusion du concept de « développement durable » (Sustainable Development) concomitant des préoccupations grandissantes à l’endroit de la dégradation de l’environnement. L’expression remonte à 1987 dans le rapport « Notre avenir à tous » de Gro Harlem Bruntland, ancienne première ministre norvégienne. Sa définition : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. » L’expression a suscité et suscite encore la controverse par sa contradiction apparente dans les termes. On peut l’entendre comme un développement permanent, comme si les arbres poussaient jusqu’au ciel !
En deux mots, un développement est considéré durable — ou soutenable lorsqu’il concilie efficacité économique, équité sociale et respect de l’environnement. La RSE se définit donc par la manière dont une entreprise contribue à un développement plus durable en minimisant ses impacts négatifs et en maximisant ses impacts positifs.
LA RSE : UNE QUESTION NORMÉE
Les 7 questions centrales de la RSE selon la norme ISO 26 000 sont les suivantes :
- La gouvernance de l’organisation
- Les droits de l’homme
- Les relations et les conditions de travail
- L’environnement
- La loyauté des pratiques
- Les questions relatives aux consommateurs
- L’engagement auprès des communautés et le développement local
Il est important de noter que la norme ISO 26 000 n’est pas obligatoire. Les entreprises s’y soumettent volontairement. Certains voient sans doute déjà cela comme une forte limite de la démarche.
LES ÉLUS ONT UN RÔLE À JOUER
On voit à la lecture des thématiques de la RSE pourquoi la consultation des instances s’impose dans un tel cadre. Les Comités d’hygiène, sécurité et conditions de travail, les Comités d’entreprise ou, demain, les Comités sociaux et économiques (CSE) ont un droit de regard sur plusieurs aspects précités. La gouvernance de l’organisation, les relations et les conditions de travail tombent sous le sens. L’environnement est moins évident, mais il fait pourtant partie des prérogatives des CHSCT et des CSE et même des salariés.
Même si c’est peu connu, les salariés et représentants du personnel ont un droit d’alerte sanitaire et environnemental :
- Les salariés et membres du CHSCT peuvent lancer un droit d’alerte sanitaire et environnemental
> Selon l’ancien article L4614-10 du Code du travail, « Le CHSCT est réuni en cas d’événement grave lié à l’activité de l’établissement ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement »
- Le droit d’alerte en matière de santé publique et d’environnement peut être lancé par un travailleur (Art L 4133-1)
> « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur s’il estime, de bonne foi, que les produits ou procédés de fabrication utilisés ou mis en œuvre par l’établissement font peser un risque grave sur la santé publique ou l’environnement. L’alerte est consignée par écrit des conditions déterminées par voie réglementaire. »
Ce droit d’alerte a été transféré au CSE.
- « Le représentant du personnel au CSE qui constate, notamment par l’intermédiaire d’un travailleur, qu’il existe un risque grave pour la santé publique et l’environnement en alerte immédiatement l’employeur.(L 4133-2) »
«En cas de divergence avec l’employeur sur le bien-fondé d’une alerte transmise en application de L4133-1 et L4133-2 ou en l’absence de suite dans un délai d’un mois, le travailleur ou le représentant du personnel au CSE peut saisir le représentant de l’État dans le département.” (L4133-3)»
«Le CSE est informé des alertes transmises à l’employeur, de leurs suites ainsi que des saisines éventuelles des représentants de l’État dans le département.” (L4133-4)»
Le CSE est informé, mais pas nécessairement réuni comme l’était le CHSCT en cas d’événement grave ayant pu porter atteinte à la santé publique ou à l’environnement. Cette éventualité pourrait sans doute faire partie des négociations autour de la future organisation des instances (CSE, Commission santé, sécurité et conditions de travail, représentants de proximité).
Les représentants du personnel sont également concernés par la RSE car la mise en place d’une telle démarche suppose une responsabilité élargie à l’ensemble des parties prenantes, définies au sens suivant : “une personne, un groupe ou une organisation qui a un impact ou qui peut être impacté par les actions ou les objectifs de l’entreprise”. Cela inclut les actionnaires, les salariés et leurs représentants, bien sûr, mais aussi les clients, les fournisseurs, la société civile, l’environnement, les collectivités et communautés locales et l’État.
Ces enjeux sont désormais pris à bras le corps par une multitude d’acteurs de la société civile : organisations internationales et non-gouvernementales, territoires et communes, entreprises et coopératives. L’État s’en préoccupe aussi avec l’adoption d’une série de plans, de stratégies et de réglementations allant dans le sens de la RSE tels que :
- Stratégie nationale de transition écologique vers un développement durable ;
- Loi de transition énergétique pour la croissance verte ;
- Stratégie de développement de la mobilité propre ;
- Plan en faveur de l’égalité professionnelle ;
- Plan national santé environnement ;
- Stratégie nationale pour la biodiversité ;
- Stratégie nationale bas carbone ;
- Etc.
Mais les résultats ne sont pas toujours probants. Par exemple, en dépit de la signature de l’accord de Paris sur la diminution des gaz à effet de serre et des plans, les émissions ont augmenté en France en 2017.
DE L’OPPORTUNITÉ POUR LES ÉLUS DE SE SAISIR DES OBLIGATIONS RSE DE LEUR ENTREPRISE POUR AMÉLIORER LES CONDITIONS SOCIALES DES SALARIÉS
La loi pèse également du côté des grandes entreprises. La Loi NRE de 2002 oblige les entreprises faisant plus de 100 M€ de chiffre d’affaires et composées de plus de 500 salariés à établir un rapport extrafinancier soumis à un tiers vérificateur comportant :
- Des informations sociales (emploi, relations de travail, santé et sécurité) ;
- Des informations environnementales (pollution et gestion des déchets, consommation d’énergie) ;
- Informations sociétales (relations avec les parties prenantes, respect des droits de l’homme).
Les entreprises de 500 salariés et plus doivent également établir un bilan de leurs émissions de gaz à effet de serre sur le territoire français tous les 4 ans en incluant émissions directes et indirectes. Les mêmes entreprises doivent mettre en place diverses mesures anticorruption en vertu de la loi sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique. Enfin les très grandes entreprises ont un devoir de vigilance élargi à leurs sous-traitants et fournisseurs portant sur 4 catégories de risques :
- Atteinte grave aux droits humains ;
- Atteinte grave aux libertés fondamentales ;
- Atteinte grave à la santé et la sécurité des personnes ;
- Atteinte grave à l’environnement.
Tant du côté de la loi que de celui du citoyen/consommateur, les attentes envers les entreprises sont devenues fortes en matière de responsabilité sociétale. Il y a plusieurs risques à ne pas s’engager dans cette voie, notamment :
- Pertes de parts de marché ;
- Non-respect de la réglementation ;
- Risques juridiques ;
- Risques d’image ;
- Fuite des investisseurs.
Inversement, s’engager de manière résolue dans une démarche RSE comporte plusieurs avantages :
- Image et capital de confiance rehaussés ;
- Maîtrise des coûts, économie de ressources ;
- Attraction et fidélisation des clients et talents ;
- Mobilisation interne des salariés ;
- Occasions d’innovation et de business.
La RSE s’inscrit souvent aujourd’hui dans une démarche intégrée aux métiers avec une amorce de dialogue avec les parties prenantes. Cette vision dominante de la RSE, une approche en quelque sorte défensive, est celle d’une maîtrise des risques associés au fait de ne pas s’engager dans la RSE. Elle n’est pas totalement incompatible avec des pratiques de greenwashing, par exemple lorsqu’une partie des profits générés par l’entreprise s’évaporent dans des paradis fiscaux.
La vision offensive de la RSE inscrit celle-ci dans la stratégie de l’entreprise, avec la volonté d’en faire un levier d’innovation et de valeurs partagées. Parions qu’elle aurait davantage de chances d’être vraiment durable…