Accidents du travail graves et mortels :
on doit mieux faire !
Le Gouvernement a souhaité orienter le Plan Santé au Travail 2022-2025, le PST4, en prévention des accidents du travail graves et mortels. La France ne brille en effet pas par ses bons résultats en la matière, avec environ 2,5 décès au travail par an pour 100.000 travailleurs. A titre de comparaison, l’Allemagne enregistre un taux de 0,7 et la moyenne de l’Union Européenne est de 1,8. Le recours à l’expertise est-il une option pour améliorer ce résultat ?
La France sur un pallier
Depuis 10 ans, le nombre d’accidents du travail mortels est dramatiquement stable en France : on compte chaque année 2 morts au travail par jour dans notre pays.
En réaction, le PST4 propose 3 axes d’action :
- La prévention et la « culture de prévention » : il s’agit de
- mieux former et sensibiliser employeurs et membres de l’encadrement, dès leurs formations initiales et tout au long de leur carrière,
- poursuivre les efforts entrepris sur des risques considérés comme prioritaires en raison de leur fréquence ou de leur gravité : le risque chimique (2e cause de maladies professionnelles) ; le risque de chutes (2e cause de décès d’origine professionnelle) ; les risques psychosociaux ; le risque routier professionnel (1re cause de mortalité due au travail) et les troubles musculosquelettiques (87 % des déclarations de maladies professionnelles).
- L’action contre la désinsertion et pour le maintien dans l’emploi
- L’intégration des nouveaux risques (crises sanitaires, épisodes météorologiques, etc.).
L’action de terrain est fondamentale
Appréhender la question des accidents du travail graves ne peut se faire exclusivement « par le haut », par de la conceptualisation et des actions de sensibilisation.
Des espaces de dialogue peuvent s’avérer utiles au niveau de la branche professionnelle, afin d’appréhender les sujets de sécurité au travail métier par métier.
La prévention est aussi et surtout une affaire de dialogue sur le travail réel, au plus près du terrain : ce qui est fait au poste de travail, comment l’entreprise est organisée, les rythmes de travail, les process, l’environnement de travail, les produits manipulés, etc.
Sur ces questions, les représentants du personnel ont acquis une pleine légitimité. Il nous faut toutefois constater qu’ils ont perdu une part importante de leur capacité d’action :
- Il n’y a plus de CHSCT dans le secteur privé en deçà de 300 salariés (pour 50 avant 2020), et la récente réforme au sein des fonctions publiques a drastiquement limité les moyens d’action des représentants du personnel,
- Le mandat des élus du CSE intègre la prévention des risques en sus des prérogatives économiques, sociales et culturelles, ce qui leur impose un large champ d’action, sans moyen supplémentaire,
- Les délégués du personnel ont disparu partout où il n’a pas été possible de mettre en place des représentants de proximité par la négociation,
- Les délais de consultation sur les projets sont de plus en plus contraints, le CSE devant s’acquitter d’une part du coût d’une expertise pour projet important,
- Ce, alors que les moyens censés être le résultat d’une négociation dans le cadre d’un accord de mise en place du CSE… ont dans de très nombreux cas été réduits au minimum légal,
- Le tout dans un contexte de généralisation du travail hybride et à distance, y compris dans le monde industriel.
Dans de nombreuses entreprises, le dialogue sur la prévention des risques existe et porte ses fruits. Mais les résultats en matière d’accidents graves démontrent de manière dramatique que ce n’est pas partout le cas. Dès lors, des campagnes de sensibilisation et une approche « par risques prioritaires » peuvent-elles conduire à une amélioration sensible de la sécurité ? Si le rôle des représentants du personnel est de faire cesser les situations à risques non reconnues et non prises en compte par l’employeur, alors il leur faut des moyens à la hauteur des enjeux.
L’expertise pour risque grave
Les représentants du personnel peuvent missionner un expert habilité lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail ou par une maladie professionnelle est constaté dans l’établissement. Au cours de l’expertise, ingénieurs, ergonomes, sociologues, psychologues du travail, architectes et spécialistes RH interviennent et se complètent. Ils caractérisent précisément le risque, éventuellement le font reconnaître, et formulent des préconisations pour le combattre. L’habilitation dont l’expert est porteur garantit qu’il s’inscrit dans une démarche de qualité et qu’il est en mesure de justifier ses méthodes d’intervention. Il est ainsi au service des représentants du personnel, et leur fournit toutes les cartes pour jouer pleinement leur rôle de prévention.
Il n’est jamais trop tôt pour prévenir un risque
La survenue d’un accident grave légitime évidemment le recours à l’expert. Mais il faut, dans ce cas, que chacun apprenne à vivre avec l’idée que cet accident aurait pu être évité. Derrière cette formule choc, se cache une réalité concrète : faire appel à l’expert en prévention d’un risque grave n’est pas chose facile. Le CSE peut rencontrer des difficultés à porter cette initiative, notamment par peur de dégrader la relation avec l’employeur. Déclencher une expertise, cela peut en effet être perçu comme une remise en question des personnes en charge de la prévention. Cela représente également un coût, pris en charge par l’entreprise. Et puis, nous le savons tous, le pire n’est jamais certain…
Pour résoudre cet arbitrage difficile auquel les représentants du personnel sont confrontés en cas de risque grave, rien ne vaut la discussion collective au sein du CSE. Il s’agit de peser le pour et le contre et d’évaluer la capacité de l’employeur à prendre les mesures qui s’imposent avec ou sans expertise. Rencontrer un expert et se faire expliquer quelle serait son action et les résultats sur lesquels il s’engage est également une bonne idée.
[conclusion]
Le PST4 met en lumière les accidents graves et mortels, mais sans renforcer les moyens du terrain et du dialogue social local. C’est certainement une erreur. L’expertise pour risque grave est à ce titre l’un des principaux leviers d’action des CSE pour travailler localement, à l’échelle de l’établissement, sur les risques professionnels et sur la prévention. Les freins à l’utilisation de ce levier demeurent nombreux mais les enjeux sont, en France, de première importance. Le nombre stable des accidents mortels, depuis 10 ans, nécessite autant une action politique nationale qu’une mobilisation des acteurs de terrain, y compris, pour certaines directions d’entreprise, sous la contrainte.